Et c’est silence ma belle
Silence des grands banyans et des oiseaux colorés
C’est silence dans ton cœur
Silence pour la fin d’une guerre
Que te livre ta mémoire
Les traces de pas dans la terre rouge
Les traces de mains sur le corps des enfants
Les traces de paroles dans l’air humide
Oui c’est silence et mémoire tressés
Qui serrent ta gorge
Le nœud coule et c’est chagrin qui t’assaille ma belle
Le temps passé loin des forêts
Le temps perdu dans les villes froides
C’est exil mon aimée, c’est survie
C’est absence et regret
D’un pays tambour, d’un pays danse
C’est larmes compagnes
Du tranchant de l’espoir
Espérance obstinée du retour
Dans la Terre-Arbre des vieux esprits.
Je dirai cela
Dans un souffle peut être
Mais je le dirai
Pour attendre avec toi
L’éternité s’il le faut
Que passage soit rendu
A ta parole ciel
Imprescriptible
Une parole que j’appelle
Majesté.
Hélène Tallon-Vanerian
Printemps des poètes 2017, concours de poésie, Le Fil des Arts, Prémian (34), 8 mars 2017
Le premier contient tous les autres.
Le deuxième s’en échappe.
Le troisième on lui court après.
La vie est une course de fond me direz-vous,
Le quatrième sera donc un vœu d’endurance.
Le premier contient tous les autres sauf trois.
Ceux là nous font courir.
2017 vœux moins trois qui courent toujours,
Souhaitons-nous un deuxième vœu d’endurance.
Le premier contient tous les autres plus le reste.
Ce qui reste c’est ce qui n’a pas été perdu.
Qui nous verra courir après ce qu’on ne peut perdre ?
Le premier c’est le tout.
Ce tout on l’appellera pour un temps « 2017 ».
Ce tout va-t-il nous faire courir ?
Le tout contient le reste.
Le reste ne peut être perdu.
« 2017 » est ce qui reste.
Vous l’avez compris, l’année 2017 sera politique!
Pour commencer en douceur et sérénité, une petite perle du musicien turc Ömer Faruk Tekbilek.
« Last moments of love ». Extrait de l’album Crescent moon, 1998
Un hommage au mont Ararat, composé par Arto Tunçboyacyan (un turc d’origine arménienne) et son Armenian Navy Band.
L’Ararat est le symbole de l’Arménie coupée de ses racines depuis un siècle. La montagne mythique des arméniens est en Turquie mais continue à dominer de toute sa majesté la capitale arménienne. Symboles, belles matrices de notre réalité…
Les images sont tournées du côté arménien.
Arto Tunçboyacyan et Armenian Navy Band: « Here’s to you Ararat« , 2006. Extrait de l’album « How much is yours? »
“Il n’y a pas d’existence idéale, l’idéal n’est pas un genre d’existence. (…) L’idéal, c’est l’imaginaire parfait. Rien n’est donné d’avance, tout se joue en cours de route.« 1
Pour Étienne Souriau, philosophe oublié et quelque peu obscur il faut le dire, l’être s’instaure, se découvre, s’invente. Pour cela il prend des risques. Il fait et refait, choisit, revient en arrière, en d’autres termes il « s’œuvre », prenant le parti de la différence, de l’altération, car sans altération il n’y a pas d’être. Le monde contient plus « d’un mode d’existence », et nous témoignons pour une réalité. Cependant, « les faits comme les œuvres tiennent, résistent, obligent —et les humains, leurs auteurs, doivent se dévouer pour eux » 2.
Voilà peut-être où se logent nos luttes quotidiennes, invisibles, celles qu’on ne va pas crier sur tous les toits, celles qui nous usent à petit feu tout en nous rendant en même temps vivants, et heureux de l’avoir été pour être arrivés là où nous poussaient nos voix existentielles dissonantes. Nous résistons et résister c’est encore lutter. Ne rien disputer à l’intuition et au désir, c’est se mettre en état d’être. Alors, à l’heure des grands discours politiques, qui saura nous parler de nos forces désirantes ?
« En valeur poétique, il n’existe ni chômage ni plein emploi ni assistanat, mais autorégénération et autoréorganisation, mais du possible à l’infini pour tous les talents, toutes les aspirations. En valeur poétique, le PIB des sociétés économiques révèle sa brutalité.»3
1 Étienne Souriau, 2009 [1943]. Les différents modes d’existence, Paris, Presses Universitaires de France, « MétaphysiqueS »
2 Bruno Latour, 2007. Sur un livre d’Étienne Souriau: Les Différents modes d’existence. www.bruno-latour.fr/sites/default/files/98-SOURIAU-FR.pdf
3 Ernest Breleur, Patrick Chamoiseau, Serge Domi, Gérard Delver, Edouard Glissant, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar, Jean-Claude William, 2009. « Manifeste pour les produits de haute nécessité ». bastamag.net/IMG/pdf/manifeste.pdf
Erik Truffaz 4tet, Sophie Hunger « Let me go! ».
« Prends garde pour quelle réalité tu témoignes, riche ou pauvre, allant vers le plus réel ou vers le néant. Car si tu témoignes pour cette réalité, elle te juge » 1
Entre ton pull et ta peau
Un jardin d’étamines
J’y passe une main nue
J’y demeure, clandestine
Je m’y délice
Sur les routes du Grand Nord
Je t’ai épousé
Un poème passe
Sur le velours de tes lèvres
Je murmure
Mille phares jaillissent et m’offrent
Une esquisse d’aurore
Enroulée, pelotonnée dans le creux
De tes hanches
Je vagabonde sur ton corps
Et bien ce n’était pas rien
Ces territoires enflammés
Mes mains s’y sont brûlées
Regarde, mes paumes sont restées brunes
J’étais petite et frêle
Folle d’un amour terrestre
La porteuse de voix
Qui ne voit rien du ciel
Quand à tes yeux elle se réfère
Ombre du songe, miel
Fragrance des vastes plaines
Force du trait d’union et du lien éternel
Missive charnelle que je glisse
Dans l’entre deux des continents
Entre ta peau et ton regard
Dans cet espace que je compose
Et qui m’oppose au vaste monde
Dans cet écrin ou rien,
Non vraiment rien
Ne trouble l’agencement des fleurs
Que tu fais naître pour que je cueille
Un à un leurs pétales
Et que j’en fasse le lit secret
Du souffle qui se lève
Quand je chemine entre tes rêves.
Les souvenirs tournent autour du monde, ils ne peuvent s’empêcher de tourner, tandis que nous, pauvres humains, nous déboitons le cou à les suivre des yeux. Nous garderons les meilleurs, nous l’avons promis. Car la fête aurait pu être belle si elle l’avait été pour tous. L’été rassemble et disperse à la fois. Que restera-t-il de ses heures suspendues ? Les vivants le seront sans doute encore, une fois l’équinoxe passée. Un peu changés, un peu ébranlés, chargés comme ils le seront de nouvelles photos souvenirs. Dans nos yeux passent des albums aux pages ouvertes. Ils racontent, ils omettent, ils colorent ou décolorent. L’été 2016 aura été comme ceci, ou plutôt comme cela. Nous aurons aimé, nous aurons pleuré, nous aurons cru, nous aurons maudit, puis nous serons finalement rentrés chez nous, comme si de rien n’était. Comme si ce rien ne gardait pas toutes nos traces en mémoire. Comme si chez nous ne nous attendait pas un château de souvenirs. Comme si les derniers en date n’avaient déjà pris place sur son rempart crénelé et ne nous observaient pas du coin de l’œil, prêts à nous assaillir à la première occasion. Nous bruissons et tintons de souvenirs, de vrais juke-boxes, ça oui ! Alors comment ne pas se rappeler ?
Pourquoi tout retourne-t-il à la mer
Sans même le vouloir ?
C’est pour nous, mon amour.
Pourquoi tout s’en va-t-il un jour,
— Ce qui embrasait nos lèvres
Jusqu’à nous anéantir ?
Tout est fleuve qui s’écoule
Et ce qui meurt en nous
Renaît ailleurs, mon amour.
João Monge. Paixões diagonais
Traduit du portugais par L. & L. https://jepleuresansraison.com/2016/07/19/jusqua-nous-aneantir/
Où il est question de murs, d’ouvertures fortuites permettant de conduire un bébé jusqu’à un hôpital, de frontières arbitraires, d’oiseaux gazés, de chambres obscures, de vie désertée, mais aussi de visite amoureuse sous les tirs ciblés des soldats. Où il est question de la vie quotidienne en Palestine lorsque l’on est du mauvais côté d’un mur qui sépare et qui brise. Des témoignages sans pathos recueillis à la pointe d’un crayon noir qui dessine au fil de la parole les cartes de l’espace vécu d’hommes, de femmes et d’enfants ayant hérité d’un horizon dont ils regardent impuissants la disparition.
Un documentaire de Till Roeskens sur la Palestine (2009)¹, que je ne peux que vous inviter vivement à prendre le temps de regarder :
¹Merci à Nicolas Lambert et son carnet NEOCARTOgraphique (http://neocarto.hypotheses.org/2389)
Les femmes sont des fées. De leur corps émane une lumière douce qui éclaire la nuit. C’est beau! On ne me l’avait jamais dit… Je ne serais pas une femme ?
« […] Il faut tout voir à travers les bésicles de l’espoir, chérir l’autre en soi, le reconnaître, aimer ce chant qui est tous les chants, […] on est toujours surpris par ce qui toujours vient, la réponse du temps, la souffrance, la compassion et la mort ; le jour qui n’en finit pas de se lever ; l’Orient des lumières, l’Est, la direction de la boussole et de l’Archange empourpré, on est surpris par le marbre du Monde veiné de souffrance et d’amour, au point du jour, allez, il n’y a pas de honte, il n’y a plus de honte depuis longtemps, il n’est pas honteux […] de se laisser aller aux sentiments, et au tiède soleil de l’espérance. »
Mathias Enard, Boussole, Actes sud, 2015, p. 378
Béata Palya, Szózat Katitzához a férfiak ügyiben. Album Ágról-Ágra, 2003
Question difficile par les temps qui courent, j’y ai donc longuement réfléchi:
du vent dans les arbres (pour le bruit des feuilles) des mots pour dire non des mots pour dire oui
des fraises dans vos pêches melba
des arcs en ciel (dans votre ciel)
des poissons-chats volants
des soucoupes en état de marche
des fleurs de lys fanées des fanes de radis pour la soupe
des pommes de terre nouvelles (toujours pour la soupe)
des nouvelles de moi
(- euh… je continue?
– non, je crois que ça suffit comme ça.
– vraiment?
– oui, vraiment. – dommage, je m’amusais bien.
– oui mais ça suffit quand même.
– bon, euh, et bien… la sortie c’est la grande porte ou la petite porte?
– passe sous le tapis c’est plus court.)
Pour résumer, que le monde merveilleux soit avec vous!
« Il est un ciel de satin au cœur de la tempête et, tout près du seuil d’un paysage proscrit, des châteaux de feu ouverts sur la mer, des tours de fête. »
Maria-Mercè Marçal, Sorcière en deuil
On est mal barrés mais ce n’est pas nouveau. Voilà déjà quelques années qu’on nous exhorte à chanter vaillamment la Marseillaise*, ce chant aussi laid en parole qu’en musique. Mais qu’advienne donc ce sang impur qu’on appelle si fort de nos vœux. Qu’il abreuve enfin nos sillons! Il enrichira la terre et donnera le blé sur lequel nous spéculerons sur les marchés boursiers de Chicago**. Notre chère patrie aura retrouvé sa gloire, vite mise à l’abri dans les coffres des multinationales. Les marchands de guerre s’en donnent à cœur joie. Les appels à la délation fleurissent, certains sont déjà en piste, c’est fou comme on retrouve vite les vieux réflexes.
On devrait donc chanter le cœur plein d’allant un chant dans lequel se logent la discrimination et le racisme. Pourtant un hymne national, si j’ai bien compris ce qu’on essaye de nous expliquer, participe à construire les références communes qui forgent la citoyenneté, c’est à dire la vie politique. Il devrait, mais je n’ai pas dû bien comprendre, nous fédérer. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux, mais certains, nous dit la chanson, sont impurs. Et oui, leur sang est contaminé (notons qu’on peut gagner gros à son trafic, mais on s’éloignerait du sujet…). Pas le nôtre bien sûr ! Quoi que, le mien, je ne sais pas… Il charrie quand même une belle dose d’Orient. Et il n’est ni bleu, ni blanc mais rouge et rien d’autre.
Triste constat… Je fais donc immédiatement acte de contrition et me range de ce pas du côté des engrais organiques. Mais je le dis tout de suite, bien haut et bien fort. Ce n’est pas dans les sillons creusés par les usines à labourer de l’agriculture intensive que je le verserai, mais dans une terre aux herbes folles que ne chatouillent que les vers de terre.
*Depuis 10 ans son apprentissage est obligatoire à l’école primaire **La majorité des prix que touchent les producteurs agricoles de la planète sont décidés à la Bourse de Chicago
Une femme dit : « Je veux être reconnue pour ce que je suis et non pour ce que je porte ». On est à Paris, en 2015, et cette femme porte un voile qui recouvre ses cheveux. Une autre femme dit : « Je ne veux pas qu’on me harcèle dans la rue parce que je ne suis pas couverte de la tête aux pieds ». On est à Alger, la même année, cette femme porte un tee-shirt à manches courtes. Même raz-le-bol de chaque côté de la Méditerranée, même impossibilité de jouir à son aise du corps que l’on désire, dans cette confrontation aux regards masculins qui impose à coup sûr de se conformer pour exister.
Dans ce débat qui n’en finira jamais sur ce que doivent porter les femmes, on ne va pas faire semblant d’être neutre et non concernée. On se sait capable de distinguer deux jumelles portant un niqab en tout point similaire, le simple éclat de leurs yeux trahissant leurs singularités irréductibles. Et on entend bien que dans la plainte de la femme voilée résonne celle de la femme qui ne peut découvrir ses bras.
On est pourtant du côté de la peau nue et libre, et même très intimement de ce côté. Pourquoi, puisque qu’au fond on ne voit pas bien où est le problème? Parce que… Voyons, comment dire…? Comment dire qu’être femme c’est aussi avoir un corps et en jouer? En user, pour le meilleur et le meilleur? Oui comment dire cela lorsque chaque parcelle du corps de la femme est scannée, jugée, neutralisée, barbisée, lorsque que toutes ces parcelles formant un corps malgré tout se retrouvent au final bien rangées derrière des voiles ou des faux semblants? Comment dire cela lorsque le simple fait de dire cela implique de porter vivant en soi un combat ingrat, difficile à comprendre et à accepter, et qui semble toujours à mener, jamais gagné? Oui, comment le dire?
« Nous dansons, car après tout c’est ce pour quoi nous nous battons : pour que continuent, pour que l’emportent, cette vie, ces corps, ces seins, ces ventres, cette odeur de la chair, cette joie, cette liberté. »
Starhawk, Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique, éd. Cambourakis, 2015
Sulzi ronya ot dve tcherni otchi / Deux yeux noirs versant des larmes
Dans ce blog se promènent des femmes inspirantes. Pour Maria-Mercè Marçal, parler en tant que femme c’est d’abord dire la part blessée du corps, c’est parler depuis son corps :
« Je me mets à genoux devant le corps impur obscène mortel premier pays vivant cercueil ouvert d’où je proviens il n’y a pas, mère, d’autre naissance. »
C’est parler du monde indompté, de sa frange indicible :
« Je rends grâce au hasard de ces trois dons : être née femme, de basse classe, de nation opprimée.
Et de ce trouble azur d’être trois fois rebelle. »
C’est collectionner l’éclat fragmenté des jours :
« Je monterai la tristesse au grenier avec le parapluie cassé, la poupée borgne, le cahier périmé, la vieille tarlatane. Je descendrai les marches dans la robe de joie qu’auront tissée des araignées toquées.
Il y aura de l’amour émietté au fond des poches. »
C’est dire la dimension translucide de la mort :
« Rien ne te sera pris : seul viendra l’instant d’ouvrir docilement la main de libérer la mémoire de l’eau pour qu’elle se retrouve eau de la haute mer. »
Maria-Mercè Marçal, Trois fois rebelle, éditions Bruno Doucey, 2013, pages 101; 9; 21; 87. Traduit du catalan par Annie Bats