Category Archives: Pages d’écriture

En tant que femme : Maria-Mercè Marçal

Dans ce blog se promènent des femmes inspirantes. Pour Maria-Mercè Marçal, parler en tant que femme c’est d’abord dire la part blessée du corps, c’est parler depuis son corps :

« Je me mets à genoux devant
le corpsP1010623
impur
obscène
mortel
premier
pays
vivant
cercueil
ouvert
d’où je
proviens
il n’y
a pas,
mère, d’autre naissance. »

C’est parler du monde indompté, de sa frange indicible :

« Je rends grâce au hasard de ces trois dons :
être née femme, de basse classe, de nation opprimée.

Et de ce trouble azur d’être trois fois rebelle. »

C’est collectionner l’éclat fragmenté des jours  :

« Je monterai la tristesse au grenier
avec le parapluie cassé, la poupée borgne,
le cahier périmé, la vieille tarlatane.
Je descendrai les marches dans la robe de joie
qu’auront tissée des araignées toquées.

Il y aura de l’amour émietté au fond des poches. »

C’est dire la dimension translucide de la mort  :

« Rien ne te sera pris : seul viendra
l’instant d’ouvrir
docilement la main
de libérer
la mémoire de l’eau
pour qu’elle se retrouve eau
de la haute mer. »

Maria-Mercè Marçal, Trois fois rebelle, éditions Bruno Doucey, 2013, pages 101; 9; 21; 87. Traduit du catalan par Annie Bats

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Écrire la vie

Ecrire la vie/HTV/lalignedecoeur.frJe tombe par hasard sur la 4ème de couverture du dernier livre de François Bégaudeau La politesse:
« La voix du Nord demande si les deux auteurs se sentent particulièrement concernés par le thème de ce soir, Écrire la vie.
Nous nous sentons particulièrement concernés. Nous ne voyons pas ce que nous pourrions écrire d’autre. »
Ces lignes me réjouissent particulièrement. Moi aussi je veux me sentir particulièrement concernée.

Plus bas on peut lire :
« François Bégaudeau est né en 1971 à Luçon. »
Je ne sais pas où se trouve Luçon mais cette information a l’air de toute première importance. Je chercherai. On note au passage que l’auteur en question est jeune (enfin plus jeune que moi). N’étant pas sociologue je ne peux pas dire si l’année 1971 a été un bon cru pour la littérature française ; aura-t-elle été le point d’inflexion notable de l’émergence d’un nouveau style littéraire singulier contribuant aujourd’hui au rayonnement culturel de la France que je n’en saurai rien. Je constate qu’il y a beaucoup de choses qu’on ne me dit pas. Il me semble d’ailleurs m’être déjà fait ce constat.
Et puis : « Il est l’auteur de sept fictions aux Éditions Verticales : Jouer juste (2003) –un livre que j’avais lu sur un malentendu, pensant qu’il parlerait de musique [mais les livres de François Bégaudeau parlent de tout sauf de leur sujet, cela je l’ai compris après coup], Dans la diagonale (2005) – pas lu ou alors je ne m’en rappelle plus, Entre les murs (prix France Culture-Télérama 2006, adapté au cinéma par Laurent Cantet) –vu au cinéma et pas vraiment aimé, Fin de l’histoire (2007) –pas lu, Vers la douceur (2009) –offert à Noël à une amie proche, je trouvais que c’était un programme tout à fait digne d’intérêt, La blessure la vraie (2011) –j’ai cherché la blessure à chaque page sans en trouver de trace, mais à cette époque tout était prétexte à trouver un miroir à la mienne, et Deux singes ou ma vie politique –pas lu non plus ».
Et encore : 19,50 EUROS [pas donné, attendre qu’il sorte en poche -forcément il sortira en poche] ;
Illustration de couverture Philippe Bretelle [là, franchement, je ne m’étends pas pour ne pas me faire d’ennemi, mais Philippe aurait pu faire un effort] ;
www.editions-verticales.com [bien noté].
Il y a encore quelques petits signes en bas à gauche (ce fameux coin que notre œil ne voit pas, dans lequel on peut fourguer tout ce qui encombre) : des n° à rallonge, dont l’ISBN [978.2.07.014848.6]. Enfin en haut de page le nom de l’auteur et le titre du livre.

Passons maintenant aux pages intérieures. Soit 293 pages numérotées, avec une certaine bizarrerie d’ailleurs car la numérotation commence à la page 9. On se demande pourquoi les premières n’ont pas eu droit à plus d’égard, c’est injuste mais bon. Ces 293 pages sont suivies de neuf pages totalement blanches, et d’une toute dernière rappelant que le livre a bien été imprimé [une survivance ?], en quel lieu précisément, jusqu’à nous préciser en quel mois les presses ont fonctionné pour nous offrir à nous lecteur cet objet sobre et pur. Merci beaucoup petites presses. C’est bien fait, vraiment. Mais revenons à nos neuf pages blanches, qui m’interpellent vous l’avez compris… L’auteur a-t-il voulu nous laisser la place et nous faire participer à son projet d’écriture ? Qui n’est autre que celui d’écrire la vie ? J’approuve des deux mains. Je veux m’y mettre tout de suite. Neuf pages c’est du concentré, il va falloir résumer.
Mais avant de me lancer je reviens à la 4ème de couverture, car de fait je n’ai pas tout lu.
« En poussant un peu nous pourrions démontrer qu’écrire la vie est un pléonasme.
– Mais est-ce que ce n’est pas voué à l’échec ?
Nous pensons que si. »

Hé ! La chute est un peu dure. J’étais si contente.
Faut-il du coup laisser leur virginité à ces pages blanches ? Ne surtout pas prendre le risque d’y toucher ? Ne seraient-elles qu’une métaphore de notre impuissance, ou une mise en garde définitive contre toute tentative de dévoiler quoi que ce soit de la vie ? Je commence à être moins à l’aise. Si ces pages au contraire n’étaient blanches que de saturation de vie ? Si elles renfermaient toutes les vies, prêtes à nous sauter à la gorge et à nous étouffer à la première occasion ?
Mon cher François, bien loin de moi l’idée de vous incommoder car vous êtes sans doute tout à fait charmant, mais voyez-vous je crois que je n’en veux pas de votre vie. Enfin de LA vie. J’ai déjà bien du mal avec la mienne. Soyons un peu sérieux. Si écrire la vie est voué à l’échec, que dire de peindre la vie ? Ou de jouer la vie ? Ou encore de dire la vie ? De penser la vie ? Aimer la vie ? Manger la vie ? Tout est-il assurément voué à l’échec ?
Du coup, je ne suis plus très sure de vouloir lire le livre. Même par politesse. On nous appâte avec un beau programme, et puis tout s’écroule en une fraction de seconde. On connaît l’histoire. On ne me la fait plus.
« –A moins que tu aies changé d’enfance entre temps ?
– Non, pas trop. ».
Chapitre I.1, p.15.

François Bégaudeau, écrivain de la vie retranchée dans la fausse candeur de la simplicité, auteur qui joue à brouiller les pistes, ne se reconnaitrait certainement pas dans le portrait que je brosse de lui et de ses livres. Alors, pour éviter toute ambiguïté, je précise tout de suite que je vous invite chaleureusement à lire ses livres si ce n’est déjà fait.

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Reflet jaune et blanc

Une tache de lumière sur la nappe
Du jaune et du blanc dans le reflet des verres
Un souffle passe dans nos cheveux
L’heure est tiède, l’air est opaque
La table est mise pour nos corps à nourrir
Les tapis volants sont rangés sous les sièges.

Les voix se dispersent au-delà du rayon doré de la bougie
Sourires dans les traces de nos mains
Une heure qui s’éteint pour d’autres en chemin.
Il flotte un souvenir d’encens, de mer et de carte postale.

Comme une nuée d’oiseaux nous nous levons
Nos pas sont lents et nos corps souples
Nous quittons la rivière et entrons dans la nuit
Nos ombres s’effacent sous son voile.

Vers nous-mêmes nous allons
Et la route nous parle
Par delà la lumière jaune et joyeuse
Vers nous-mêmes nous allons
Et la route nous mène
Dans l’azur de la nuit pleine et transparente.

H.T.V. Juillet 2013

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Ligne rouge et bleue

Il trace une ligne au couteau dans mon cœur
Il y place une goutte d’encre bleue
Il écrit ses rêves à même ma chair
Le ciel m’a pris par la main.P1050416

Puissance de l’instant qui jamais ne demeure
Qui creuse et sonde les espaces sous ma peau.
Exister à jamais dans ces traces éparpillées
Dans les lézardes dont il forme ses mots
Mots tendres, mots profonds, mots insondables
Mots bleus d’encre délavée aux larmes de l’histoire
Mots légers que contrarie la course du sang dans nos veines
Histoire à réécrire mille fois
Des mille rêves qu’il gravera sur mon corps.

Au creux des mots la béance des vies qui dérivent,
Dans l’air salin qui n’éteint pas les braises
Les vagues orageuses sous des ciels lourds
Le poids des jours sans fin qui ne racontent rien du monde.

H. T.-V.

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On avait le doré du couchant

On avait le doré du couchant
Les ombres lâches
Les lézards nichés dans les pierres
On avait nos songes
Délicats, vifs, gais
On avait nos mains jointesP1000586
Un cœur battant en leur creux
Passait la guerre et ses convois
On était loin
Enfouis dans les roches
Enfants cachés surpris par la nuit
Attendant le matin perdu dans les limbes.
On avait nos lèvres
Pressées sur un désir
Une parure pour le reste à venir
On avait nos vies
Sinueuses, fugaces
Mêlées à la caresse du petit jour
On avait l’horizon
Le pont rose des deux rives
Nous deux assis
Encerclés de miroirs profonds
Cherchant à leur surface
Qui de l’ombre de l’un enveloppait si bien l’autre.

H. T.-V., avril 2013

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Avec des fleurs

Je vais rentrer et il va m’offrir le nom d’une fleur. Elle sera luxuriante, comme une liane, ou aura des feuilles en étoile disposées lâchement autour d’une tige dressée. D’un vert bien foncé elle sera cette plante, et la fleur sera rouge-orangé, ou jaune, ou peut être violet-foncé, en tous cas elle aura des pétales en éperon, agencés symétriquement. On pourrait se demander si elle est bien vivante, ou échappée d’une peinture réaliste.
J’aurais ce nom, en latin s’il vous plait, et les images surgiront, comme dans un film au ralenti. Une forêt, une mare, une prairie, encore des broussailles, puis une herbe clairsemée laissant apparaître un substrat sableux, puis de simples traces de végétaux, des algues (toujours des végétaux ?), et enfin la mer, qui aura tout effacé. C’est un chemin que je connais bien, que je refais mille fois, et le violet de la fleur se délave dans l’eau grise.

Il m’a apporté le nom d’une fleur, que je me suis empressée de jeter à la mer. Radeau minuscule errant sur l’écume.

Il m’attendait caché derrière une fleur. Elle était énorme.
Les couverts étaient en ordre de chaque côté des assiettes, on se tenait droit, les plats étaient bien garnis. On leur sacrifiait les rêves des enfants. Vingt ans plus tard les pas dans la rue au courant d’air glacial ne sont pas très assurés. Car le moindre brin d’herbe est empoisonné et marcher pieds nus nous est désormais interdit. Les talons hauts claquent et trahissent notre présence.

Il m’attendait avec du poison plein les mains. Par la fenêtre je pouvais voir des tours et des arbres, du ciel gris bleu et de vagues nuages comme immobiles. Moi-même je n’osais pas bouger. C’était l’époque où l’on écoutait son professeur, le temps des désirs dictés par les livres de savoir vivre et des photos figées dans leurs gaines noir et blanc.

Il disait « princesse » et des clairières aux fleurs sucrées s’ouvraient dans la forêt vierge. La mousse se faisait séductrice et attirante. La brume protégeait de l’agression du soleil. Je ne pensais rien, car troubler l’air par des questions ne se concevait pas. Dans la clairière les fées étaient partout. Elles essayaient de survivre aux croisades que la rationalité de mise leur livrait. Elles n’étaient pas très belles, rabougries et sur la défensive, et elles parlaient une langue perdue aux consonnes marquées. Elles m’envoyaient des messages codés que je ne savais déchiffrer mais que je faisais pourtant semblant de comprendre. Je hochais gravement la tête. Sûr qu’aujourd’hui ces avertissements, même correctement traduits, me resteraient encore inaccessibles.

Il m’imaginait éternelle et je l’ai été. Les fleurs ont poussé sous ma peau, d’abord discrètes, puis de plus en plus grosses. Au temps de la récolte leur parfum ne me quittait pas. Sur mes traces des mains avides en faisaient des bouquets qui ne survivaient pas aux premiers froids. Parcheminé, mon corps se faisait manuscrit. Les courbes des lettres anciennes retenaient mes boucles encore blondes. Quel chantier ! Fleurs et feuilles se décomposaient dans ce fatras organique, sans que ne pousse pour autant une vie neuve et fraiche.

Il m’attendait certes mais il s’est enfuit. De ce qu’il avait fait de moi il n’en a rien gardé. La boue colle à mes semelles et m’unit à la terre. A chaque pas je m’enfonce un peu plus. Loin de la serre qui nous abritait je me suis sentie dépérir. On ne nous apprenait pas à demander. Je ne savais retrouver mon chemin. Mes fleurs fanées à la main, assise sur le trottoir, je regardais passer les voitures. Elles étaient vides, tout comme mon cœur.

Il est resté au loin. Dans mon herbier tout est devenu poussière. Aujourd’hui les arbres sont vieux. Ils saluent leurs ancêtres sans conviction. La ville est recouverte de brume froide. La nuit tombe trop vite, j’avance trop lentement dans mes sandales bleu marine. Je ne serai pas au rendez-vous. Au seuil de nos dernières années, un incendie effacera tout, jusqu’au dernier traité de botanique. Enveloppée d’un drap de laine je contemplerai de ma terrasse le désert. Il sera le miroir de mon corps, tout comme lui lavé de ses empreintes par le vent de sable de la nuit. Alors rendue à ma virginité, je saurais attendre les moissons de sel qui stérilisent les sols. Transformée en tapis de cristaux blancs, la terre sera telle que je l’aurais rêvée, robe de mariée exposée au regard bleu du monde, étoffe brodée de fils délicats animée par l’air léger, souvenir complice discrètement relégué aux archives de ma mémoire.

Hélène Tallon-Vanerian, janvier 2013

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5 mars, la nuit : Et maintenant?

à Wlad
http://www.cosmoskolej.org

Et maintenant l’or de ton cœur
N’allumera plus les phares vagabonds
Une page de poésie en moins
A moi ses fragments
Une carte jaunie
Des mots étendus comme un drap blanc
Sur une terre non moins cristalline
Des mots gardés comme un trésor trop précieux
Pour des gestes désordonnés et pressés
Un temps lointain qui n’avait pas de fin
Qui se désagrège comme du sable éparpillé
Gaspillé et livré aux vents froids
Dans cette ère nouvelle
Par trop encline aux courants d’air.
On voulait tes images superposées au monde
Pour marcher sur des ponts imaginaires
Remonter l’horloge des soleils
Endormir les tempêtes en comptant ses bateaux.
Les mots sont rangés
Ternes maintenant
Les aiguillages font grève
Le voyageur a posé sa valise
Il distribue les breloques qui en coloraient les lanières
Mais les passants sont rares
Seul le chien aux beaux yeux clairs regarde de près la scène.

Hélène Tallon-Vanerian, mars 2013

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Maya

Automne au château
Perdue
Presque
– mais là bien vivante
Dans le cœur plus qu’un chant
Un appel et ton rire
Un peu de poussière sur ton jean
Passage sur des pistes lointaines
Horizon
Décor sur ton corps
Saison des murmures
Secret des aurores.

Rappelle-toi,
La forêt nous parle et nous protège.
Ici bas germe un arbre
Pour Titania
Chef de chœur toute puissante
Gardienne de nos étés
Égarée comme toujours
Comme ton amour qui ne veut pas,
Qui ne sait pas,
Qui joue pourtant si bien
Que les fées se réveillent.

Avec elles suivons la trace blanche
Du géant au dos nu,
Si beau
Qu’on n’ose pas
Saisir sa main tendue.

H. T.-V., Cévennes, octobre 2012

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