CQFD

DSC_0260« Avant on connaissait beaucoup de monde, pourquoi, parce que l’café ! […]Moi ça fait des années et des années que j’fréquente plus les cafés donc… […] Le fait de pas aller au café… Mais 1€20 moi je peux plus. J’ai dépensé des fortunes dans les cafés, mais même maintenant, leur donner 1,20€, j’peux pas, j’peux plus. Ben non… Même 1 par jour, voyez, ça fait plus de 30 € dans l’mois. Comme j’compte à l’euro près maintenant, non non ! […] Pourtant y’en a des cafés là où j’pourrais m’arrêter, non… […] La vie est bizarre quand même. »

Freddy, 55 ans, Chambon/ Voueize, Creuse, 2013

Oubliés de nos campagnes Écoutez le portrait sonore de Freddy (1’59) en cliquant sur l’image. « Oubliés de nos campagnes », une exposition réalisée par le Secours Catholique et l’agence MYOP, 2013. http://oubliesdenoscampagnes.org

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T 2019

Ça raconte le temps. Ça raconte l’attente. Debout ou assis, à une place fixe tandis que les astres tournent. Ça raconte les hommes et leur volonté de se mouvoir. Ça raconte la peur et les forces extérieures qui nous agissent. Ça raconte la mémoire. Ça raconte le passé et le futur  – c’est à dire accessoirement le présent. Ça raconte que tout ce que nous apprendrons au cours de nos vies ne sera jamais assez pour nous permettre de penser que nous savons quelque chose. Ça raconte donc tout et rien. Ce qui n’est déjà pas tout à fait rien. Surtout quand ça raconte un poème. Celui-ci par exemple :

observatoire de Paris« Quand j’aurais assez de janviers févriers mars assez d’avrils mais juins juillets assez d’aoûts septembres octobres et mon compte de novembres et de décembres

Assez de lundis de mardis assez de mercredis jeudis de vendredis samedis dimanches

Assez de midis et de minuits assez de quatre heures assez d’heures

Mon temps de parole bien passé je m’en irai faire mon silence »            (Valérie Rouzeau, Va où, éd. Le temps qu’il fait, 2002)

Photo : Service international de la rotation de la Terre/ Observatoire de Paris

Pierre Henry. Psyché-rock. Extrait de Messe pour le temps présent, 1969

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Poetry

(…)
La nuit ressemblait au jour à cause des flammes, flammes
dont il se nourrissait – creusant la page

(la page en flammes)

Comme un ver – pour mieux comprendre

Que nous buvons jusqu’à l’ivresse pour être finalement
détruits (par cette nourriture). Mais les flammes
sont flammes avec une exigence, une outrance destructrices
qui leur sont propres – comme il y a des feux qui
couvent

couvent très longtemps sans jamais

s’embraser
(…).

La bibliothèque (extrait). William Carlos Williams, Paterson, 1992, Traduction Yves Di Manno, Editions José Corti, 2005

Paterson, film de Jim Jarmusch, EU 2016

 

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Puisqu’il faut…

P1090397Puis qu’il faut dire
Le jour, l’amour, le fer, la pierre
Et que
Je ne dis pas…

Puisqu’il faut créer
La maison, les enfants, les ponts suspendus, la fenêtre
Et que
Je ne crée pas…

Puisqu’il faut penser
A tout, à rien, à hier soir, à demain
Et que
Je ne pense pas…

Puisqu’il faut prier
Pour que tu sois là, pour la pluie sur le jardin, pour ma mère
Et que
Je ne prie pas…

Puisqu’il faut compter
Sur soi-même, sur les autres, sur les cinq doigts de la main
Et que
Je ne compte pas…

Puisque tout cela s’imprime sur une pellicule fine
Accrochée au balcon de ma terrasse
Et puisque tout cela danse autour de moi
Pourquoi faire plus ?

HTV

Au détour de ton amour. Hélène Tallon-Vanerian : composition et chant ; Patrick Villanti : guitare

La nuit en robe du soir. Hélène Tallon-Vanerian : composition et chant ; Patrick Villanti : guitare

Complainte du prisonnier. Hélène Tallon-Vanerian : composition et chant ; Patrick Villanti : guitare

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Berceuse pour les anges échoués

14049993015_2c0f-70315On ne dira jamais assez que la mer est grande, trop grande pour l’homme qui pourtant s’y confronte corps et âme, y laissant parfois son corps pour garder son âme, quand la mer est une frontière entre l’impossible et le peut-être possible.
On ne dira jamais assez que lutter contre la mer c’est refuser le monde des abysses pour celui du ciel, car l’homme n’a pas de branchies n’est-ce pas? Obéissant à Poséidon, la mer et ses « chemins humides » barrent à Ulysse la route du retour. Prisonnier errant, Ulysse ne s’extraira de la mer que grâce à la protection de la déesse Athéna. Aux prises à une dernière tempête dont Athéna le sauvera, il pensera qu’il eut été moins « atroce » de mourir devant Troie que dans ces vagues « épouvantables ».
Près de 3000 ans après Homère, mourir en mer est toujours aussi atroce. Près de 3000 ans après Homère ne pas porter secours à des hommes piégés par la mer relève toujours de la même barbarie.

L’Aquarius repart en mer
« L’Aquarius, le navire affrété par l’organisation européenne de sauvetage en mer SOS MEDITERRANEE et opéré en partenariat avec Médecins Sans Frontières (MSF), repart en mer car des êtres humains continuent à perdre la vie en tentant de fuir l’enfer libyen. Il repart en mer car le sauvetage est son devoir, sa responsabilité, sa mission et celle des marins à son bord. C’est aussi le devoir de tous les autres bateaux qui naviguent en Méditerranée centrale et de leurs équipages. (…) Certains disent qu’il serait complice du drame humanitaire qui se déroule en Méditerranée, c’est faux. Son seul et unique objectif est de sauver des vies en mer : empêcher que des femmes, des hommes et des enfants ne se noient. (…) En toutes circonstances, il se référera à son devoir supérieur de porter assistance. De fait, si ayant connaissance d’une embarcation en détresse, l’autorité maritime compétente lui donne ordre de ne pas s’approcher ni assister – comme cela a déjà eu lieu au cours des derniers mois, il ne se conformera pas à ces instructions de non-assistance à moins d’avoir la certitude que tous les autres moyens disponibles sont mis en œuvre pour sauver les personnes en danger et pour les mettre à l’abri dans un lieu sûr. De même, s’il reçoit instruction d’attendre alors que le danger est imminent et qu’il a la possibilité de sauver des personnes d’une noyade certaine, il ne pourra pas attendre. »
Communiqué de la Cimade, 1er août 2018
https://www.lacimade.org/500-personnes-sont-onboardaquarius/

Berceuse pour les anges échoués.
Composition et chant ; Hélène Tallon-Vanerian
Guitare : Patrick Villanti

Cartographie : Morts en tentant de franchir les frontières de l’Europe, Philippe Rekacewicz, 2013
https://visionscarto.net/la-mediterranee-plus-loin

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Infini bleu

Les Infinis bleus EOleJ’ai déjà parlé d’une ligne bleue
Pour dire que ton cœur
Ou quelque chose comme ça…
Mais rien à voir avec cet entrelacs
Sous le bleu affleure
La mer
Elle flotte à contre jour
Dans le moucharabieh
Quand le tableau se fige
Tout se fige
Il faut un appel pour casser l’immobilité
Se remettre à bouger
Trembler un peu, ou frissonner a minima
C’est pur plaisir et petite ivresse
Que ce moment là
Tituber gentiment
Quand le soir s’annonce
Çà ne durera que le temps nécessaire
A la contemplation
Ou un peu plus
Peut être

Des lignes et des signes
Il y en a tant
La feuille reflète le ciel
Le bleu reflète le blanc
Mais aussi
Le bleu m’émeut quand il se rassemble
J’avais dit un jour
– Le bleu /ton cœur…
Je boucle la boucle
Et j’aurais aimé ne pas revenir à ce point de départ
Ne pas démontrer
La non linéarité
De la ligne.

Hélène Tallon-Vanerian, d’après l’oeuvre d’eOle « les infinis bleus »
Juin 2018

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Convergence des doutes

Convergence des doutes2Vendredi matin, 11 heures, bureau de poste d’un petit bourg. Deux guichetières font leur travail, derrière un comptoir ouvert qui laisse place à l’échange direct. L’une d’elle est visiblement nouvelle à la Poste car sa collègue la guide pas à pas dans les procédures informatiques et les réponses qu’elle adresse aux clients.

A côté de moi un homme s’avance vers l’employée novice et demande à retirer de son compte épargne 1700€. Dans ces terres reculées, c’est déjà une somme. Il est avec sa compagne. Lui a les cheveux longs tirés en arrière, elle a la peau noire. Ils ne sont pas d’ici, c’est clair. L’employée expérimentée s’arrête de me servir et se tourne vers sa collègue, lui disant à mi voix de vérifier s’ils sont domiciliés dans cette agence, car elle ne les connais pas. Cette dernière s’exécute et tape le n° de la carte de retrait qui lui a été présentée. Elle confirme qu’ils ne sont pas enregistrés dans ce bureau. L’employée en chef, qui a pris les choses en main, dit alors à l’homme que dans ce cas il ne peut retirer que 800 €. S’engage un échange vif entre eux. L’homme répète qu’il a besoin de 1700€, et qu’il ne voit pas de quel droit on lui interdit de retirer cet argent, bien présent sur son compte. L’employée lui dit qu’il est bien sûr libre de disposer de la totalité de son argent, mais dans son agence uniquement, et qu’il n’a qu’à faire sa demande là-bas. La réponse semble totalement incongrue à l’homme qui vient visiblement de loin. Il dit qu’ils viennent de déménager, qu’ils ont même fait leur changement d’adresse à La Poste, et qu’il a vraiment besoin de cet argent… La postière lui indique alors que si cette somme est destinée à un achat ciblé, il existe d’autres systèmes de paiement, de banque à banque par exemple. L’homme dont la colère est montée d’un cran lui répond que ce n’est pas à la banque de décider de la manière dont il paye ce qu’il achète, ni de contrôler ses transactions, qu’il n’est pas encore interdit de payer en argent liquide, qu’il refuse d’être l’otage d’un système liberticide, édifié pour servir l’intérêt de la banque au dépens de celui de l’usager, etc. Ses arguments font mouche. Dans la petite salle de l’agence les personnes qui patientent en silence lui donnent implicitement raison, tout comme l’employée béotienne qui découvre l’envers du décor de l’organisation dans laquelle elle travaille. La chef s’est retranchée derrière son impuissance et ne répond rien. La novice lui vient en aide en expliquant à l’homme d’un ton que l’on sent sincèrement désolé qu’elle et sa collègue ne peuvent rien faire, la machine ne délivrera pas plus que la somme maximale autorisée. Elle lui suggère une combine pour contourner l’interdiction, le transfert d’argent de son compte épargne vers son compte courant. Qu’il peut faire de chez lui.  Qu’il y a néanmoins là aussi un retrait maximum autorisé de 1200€ dans son cas et qu’il doit donc veiller à laisser au moins 500€ sur son compte épargne. Que le délai de transfert est de 48h. Qu’il pourra revenir retirer le tout à l’agence  lundi, vu que la Poste est fermée le dimanche, c’est à dire dans trois jours…

L’homme est intelligent et a parfaitement compris qu’il n’obtiendra pas son argent aujourd’hui. Que l’argent d’un quidam sur un compte bancaire devient l’argent du banquier. Que les besoins d’un individu ne comptent pour rien dans un système financier spéculatif. Que le moindre mouvement d’argent d’un petit épargnant est scruté à la louche, tandis que des millions d’euros peuvent s’évaporer sans trace…

– Alors, on n’a vraiment plus d’autre choix que la révolution? lâche-t-il avant de partir.

Dans le petit bureau de poste, personne ne l’aura contredit.

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Après la nuit

P1090203On oublie
Que le point de départ
Se tient au fond de nous
Les mots traversent les âges
Comme le corps qu’on offre
A l’autre
Et qui raconte

Je ne donne pas tout
Je garde dans mes mains
Les histoires secrètes
Des voyageurs
Leurs poèmes
Qui flottent
Comme des rubans blancs
Dans le ciel

On peut songer au monde
Qui scintille
A l’étrange course de fond
Des oiseaux migrateurs
Aux paysages, aux mers
Aux champs verts
Aux arbres sculptés
Nous passons sur une terre de contraste
Saison du feu saison du froid
La rupture comme un état
Une ouverture vers autre chose

Arrivés sur le seuil
Nous survivons
Entre deux vides
Que nous comblons
De rêves et de chimères

Si nous savions aimer
Le vide ne nous effraierait pas
Et c’est assez de l’avoir dit
Pour s’endormir
Après la nuit.

HTV, décembre 2017

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A l’an nouveau grand vent frais

Lumière hiverIl dit – Quelque chose change…
Elle dit – Quoi donc?
Il dit – Ce matin je n’ai pas trouvé le café…
Elle dit – Oui ?
Il dit – Ni la tasse, ni le sucre, ni la cuiller…
Elle dit – Ah bon ?
Il dit – Je n’ai pas trouvé la table non plus, ni la cuisine, ni la porte de la maison
Elle dit – C’est étrange…
Il dit – Pourquoi tout se met à changer aujourd’hui ?
Elle dit – Ce n’est peut être qu’une disparition passagère…
Il dit – Tu veux dire que tout pourrait revenir ?
Elle dit –Pourquoi pas ?
Il dit – Et en attendant, si je veux boire un café?
Elle dit – Certes ça paraît difficile…
Il dit – Tu crois que ça a quelque chose à voir avec 2018 ?
Elle dit – Non, pourquoi ?
Il dit – Pour rien, pour rien…

Si nous savions vers quoi nous mène notre vie, nous ne conjurerions pas l’avenir par des vœux répétés chaque année, nous resterions rationnels et mesurés. Mais l’impermanence est la matrice de notre existence. Et si, en 2018, pour s’en prémunir, nous apprenions à lire l’avenir dans le marc de café ? Chaque jour, voire deux fois par jour, vous pourriez interroger votre destinée, et vous y préparer de pied ferme.
Je vous livre la recette. Elle vient du Moyen Orient.
Dans une petite cafetière orientale, mettez de l’eau, du sucre et du café moulu très fin. Faites monter en température très doucement, jusqu’à faire bouillir le café pendant une minute. Arrêtez le feu, et versez le tout dans le nombre de tasses adéquat, en répartissant la mousse formée pendant l’ébullition. Laissez reposer votre café pour laisser le marc se déposer. Ne mélangez surtout pas ! Buvez votre café en laissant le fond (sous peine de boire le marc), retournez la tasse sur la soucoupe et attendez quelques minutes. Regardez alors les dessins formés sur les parois de la tasse : votre avenir est là ! Chaque forme vous adresse un message. En voici quelques clefs. Des lignes horizontales et des stries vous indiquent un blocage, une ligne parallèle au bord de la tasse un voyage, une bulle ou un canard une rentrée d’argent, un escargot un déménagement, un oiseau une nouvelle, une cigogne une naissance, une colombe une rencontre sentimentale, un aigle un message de triomphe (alors pour s’y retrouver un peu, sachez qu’une cigogne a un long bec, une colombe est petite et a un bec court, un aigle est gros et a des serres puissantes). Un chien et ce sera la fidélité, tandis qu’un chat, c’est bien connu, la trahison. Un serpent indique une maladie, des ciseaux une rupture, un bateau un voyage par mer et un avion un voyage par les airs, un anneau un mariage, un bouquet de fleurs la réalisation d’un vœu, un fer à cheval de la chance en argent, un cœur une rencontre amoureuse, mais attention s’il est blanc c’est un amour passé (oui le passé s’invite aussi dans le fond de la tasse).

Si vous avez une volière dans votre tasse, c’est jackpot : une nouvelle, une naissance, une rencontre et un grand succès !
Si vous avez un avion et un bateau et que vous projetez de traverser l’atlantique, peut-être commencerez vous le voyage à la rame, avant d’être pris en charge par un hydravion secourable. Si vous avez un serpent dans votre tasse, mettez-y un aigle qui mangera le serpent. Si vous avez un anneau et un chat, mettez-y un chien qui coursera le chat. Si vous avez un anneau et des ciseaux, mettez y un bouquet et faites votre choix.
Le marc de café c’est la maîtrise de votre avenir !

Je précise que ça ne marche pas avec le thé. Comme je bois du thé, je m’en tiendrai aux vœux classiques. J’en formule un seul, l’amour de chaque instant par lequel nous grandissons. Un beau défi nietzschéen. A la vie toujours préférer la vie…

Et pour accompagner ce défi, une musique qui invite à prendre la route (vous seuls en savez la destination).

René Aubry, Rasta la vista. Album Refuges, 2011

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L’homme n’a pas de racines, il a des pieds

Certaines personnes se battent pour un territoire qui n’a de valeur, dirait-on, que coupé des autres. Les Catalans rêvent d’un espace si petit qu’il ne pourrait être atteint par la complexité du monde. Mettre des frontières là où il n’y en avait pas. Comme si nous n’avions pas appris à affranchir les distances et à parler la langue de l’autre. J’évoque la Catalogne parce que l’actualité y pousse. Mais les mêmes discours indépendantistes s’entendent partout. Au nom de nos identités, nous devrions accepter que se réduisent nos territoires. Dans le même temps, d’autres personnes se battent contre les frontières. Seul un monde ouvert leur laisse une possibilité de survivre. Elles traversent des continents pour trouver le lieu où elles pourront se fixer, un temps fini ou infini. Car les hommes sont mouvants et fluides. La terre est creusée des larges chemins de leurs migrations ancestrales, qu’à défaut, pour certains, de porter dans notre cœur, nous portons dans notre sang.

Seul un monde ouvert nous met en contact avec la complexité humaine.
Seul un monde ouvert nous enrichit.
Seul un monde ouvert peut être l’horizon géopolitique du monde.

pieds nus Pamukale« Nos racines ne sont pas dans notre enfance,
dans le sol natal, dans un lopin de terre,
dans la prairie enclose
où jouent les enfants de la maternelle.
Nos racines sont en chaque lieu
que nous avons un jour traversé.

Ainsi, comme le gratteron, croissons-nous
en nous agrippant ici et là.
Et ces chemins qui serpentent sans fin,
et ces forêts bleuissant dans le lointain
— sans parler des montagnes de nos rêves —,
les lieux étrangers et les noms étrangers,
deviennent nôtres et de nouveau étrangers.
(…) »
Karl Ristikivi. Le chemin de l’homme. Poésie. 1972.**Traduit de l’estonien par Jean-Pierre Minaudier

*Pascal Clerc, le vieux monde des indépendantistes catalans, 26 octobre 2017. http://geobuis.hypotheses.org/789#_ftnref1.
« L’homme n’a pas de racines, il a des pieds. » : la citation tirée de l’article est attribuée à Salman Rushdie
**http://www.litterature-estonienne.com/

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Revenu d’existence, revenu d’inexistence

Loi travailEntre les deux, lequel choisir ?

L’élection présidentielle de 2017 aura au moins eu l’intérêt de mettre ce sujet sur le tapis, un temps très court certes mais assez long pour que le débat s’installe, pour le plus grand bénéfice de tous. Car les termes employés, revenu d’existence, de base, universel, etc. contiennent les innombrables questions que pose depuis des siècles le travail à l’être humain. Pourquoi travaille-t-on ? A-t-on toujours travaillé ? Surtout pas, répondront les Grecs et les Romains, qui laissaient ce domaine aux esclaves, considérés comme non humains. Pourquoi le travail fait-il souffrir (parfois/ souvent/ toujours…), aussi bien que l’absence de travail ? Parce que travailler c’est produire et se produire, c’est-à-dire mettre en œuvre son ingéniosité et ses capacités créatives, au-delà des tâches et des procédures nécessaires, répondront les psychosociologues, et que l’appropriation de cette part humaine du travail par les employeurs est un vol pur et simple. Pourquoi suis-je pauvre si je ne travaille pas, et pourquoi certains sont riches sans travailler? Question de société, répondront les anthropologues, dans les sociétés dites « holistes » (les sociétés nomades ou paysannes par exemple) la richesse n’a souvent rien à voir avec le travail et l’accumulation d’argent. Pourquoi un riche qui ne travaille pas peut se présenter à une élection présidentielle et fustiger la perte de la valeur travail ? Hum, oui tient, pourquoi ?

Mais aussi : pourquoi travailler toujours plus ? A quoi sert l’argent du travail ? Où va l’argent produit par les travailleurs qui ne leur est pas reversé ? Est-ce qu’on me fait naître dans le seul but de me faire travailler ? Et pour qui ? Pourquoi ai-je à mener une bataille pour gagner ma vie (j’étais si tranquille dans les limbes dont on m’a soustrait à ma conception…)? Ou dit autrement, pourquoi on me fait naître si la société qui me laisse naître n’est pas garante de ma [bonne] vie ? Pourquoi ai-je le sentiment de perdre quelque chose quand je livre corps et âme un combat pour un travail et un revenu dignes ? Dans cette bataille, qui sont mes adversaires ? Travailler ce serait donc faire la guerre ?  Qu’en est-il des pacifistes ? Dieu travaille-t-il ?¹

« Le travail concret n’a pu être transformé en ce que Marx appellera le « travail abstrait » qu’en faisant naître à la place de l’ouvrier-producteur le travailleur-consommateur : c’est-à-dire l’individu social qui ne produit rien de ce qu’il consomme et ne consomme rien de ce qu’il produit ; pour lui le but essentiel du travail est de pouvoir acheter des marchandises produites et définies par la machine sociale dans son ensemble.
La rationalisation économique du travail aura donc raison de l’antique idée de liberté et d’autonomie existentielle. Elle fait surgir l’individu qui, aliéné dans son travail, le sera aussi, nécessairement, dans ses consommations et, finalement, dans ses besoins. Parce qu’il n’y a pas de limite à la quantité d’argent susceptible d’être gagnée et dépensée, il n’y aura plus de limite aux besoins que l’argent permet d’avoir ni aux besoins d’argent. Leur étendue croît avec la richesse sociale. La monétarisation du travail et des besoins fera finalement sauter les limites dans lesquelles les contenaient les philosophies de la vie. » André Gorz, 2004 [1988]. Métamorphoses du travail. Critique de la raison économique. Gallimard, col. folio essais, p. 44-45

 ¹ Dieu travaille-t-il ? Citation empruntée à Dominique Méda dans Le travail, une valeur en voie de disparition, Champs Flammarion, 2004, [1995], p. 47

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Mai, temps des cerises

cerisiersOn écrira qu’en mai de cette année là il y a eu des luttes, des doutes, des compromis, qu’on a dû faire ce qu’on attendait de nous, voter (pour-contre), s’abstenir (pour-contre), qu’on a dû choisir, non pas à contre cœur mais avec le cœur, en se gardant des calculs et des raisonnements hypothétiques, qu’on a regardé le spectacle orchestré d’un homme gravissant avec une assurance inversement proportionnelle à sa légitimité le podium présidentiel, qu’on n’a pas pu s’empêcher de voir dans la piètre mise en scène dudit spectacle un signe inquiétant de la mandature à venir : images plagiées, hymne lourdement interprété¹, lumière jaune saturée, symboles usés jusqu’à la lie, discours convenu et sans relief dans lequel le silence des absents explose (ne pas avoir l’ouïe trop fine), photo de famille idyllique qui ne dira rien de la part souffrante de la société…

Pendant ce temps, sur d’autres scènes se jouent d’autres histoires. Plus petites, plus complexes. Certes, elles ne forgent pas un discours national. Mais elles construisent les protagonistes de ce discours. Pendant que certains luttent pour le pouvoir, d’autres apprennent à le perdre. Ils apprennent à regarder, à écouter, à accepter, à se laisser toucher, à comprendre qu’une place n’est juste que si elle ne masque personne. Sur la scène d’un théâtre de toile, alors que les platanes centenaires bruissent dans le grand vent, on répète, pour que des mondes  s’écroulent et qu’adviennent ceux dont on rêve. On met en jeu son humanité. Ce don miraculeux qui émeut le public d’un petit théâtre et par là-même nous indique très clairement qu’un discours qui en est exempt n’est que supercherie.

« Imaginez, Ania : votre grand-père, votre arrière grand-père, tous vos ancêtres possédaient des esclaves, ils possédaient des âmes vivantes, et ne sentez-vous pas dans chaque fruit de votre cerisaie, dans chaque feuille, dans chaque tronc, des créatures humaines qui vous regardent, n’entendez-vous donc pas leurs voix ? … Posséder des âmes d’homme – mais cela vous a dégénérés, vous tous, vivants ou morts (…)

Anton Tchekhov, La cerisaie, traduction André Markowicz et Françoise Morvan, Actes Sud, Babel, 2002, p.65

Encore une valse. Jacques Mayoud, Jean-Pierre Yvert, Christofer Bjurström. Album « Nord Sud« , 2001

¹L’hymne à la joie de Beethoven, déjà utilisé le 21 mai 1981 par Mitterrand lors de sa marche au Panthéon. Notons qu’en 1981 l’hymne était interprété en direct par l’Orchestre de Paris, alors qu’en 2017 ne sera diffusé qu’un enregistrement non original, lourd et convenu qui plus est. Payer des musiciens, mais ma chère nous n’en sommes plus là!
http://next.liberation.fr/arts/2017/05/08/macron-choisit-l-hymne-a-la-joie-musique-de-toutes-les-recuperations_1568187

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C’est silence ma belle

PDP19_Aff_20x30Et c’est silence ma belle
Silence des grands banyans et des oiseaux colorés
C’est silence dans ton cœur
Silence pour la fin d’une guerre
Que te livre ta mémoire
Les traces de pas dans la terre rouge
Les traces de mains sur le corps des enfants
Les traces de paroles dans l’air humide
Oui c’est silence et mémoire tressés
Qui serrent ta gorge
Le nœud coule et c’est chagrin qui t’assaille ma belle
Le temps passé loin des forêts
Le temps perdu dans les villes froides
C’est exil mon aimée, c’est survie
C’est absence et regret
D’un pays tambour, d’un pays danse
C’est larmes compagnes
Du tranchant de l’espoir
Espérance obstinée du retour
Dans la Terre-Arbre des vieux esprits.

Je dirai cela
Dans un souffle peut être
Mais je le dirai
Pour attendre avec toi
L’éternité s’il le faut
Que passage soit rendu
A ta parole ciel
Imprescriptible
Une parole que j’appelle
Majesté.

Hélène Tallon-Vanerian

Printemps des poètes 2017, concours de poésie, Le Fil des Arts, Prémian (34), 8 mars 2017

Plus ou moins 2017 vœux

voeux-2017Le premier contient tous les autres.
Le deuxième s’en échappe.
Le troisième on lui court après.
La vie est une course de fond me direz-vous,
Le quatrième sera donc un vœu d’endurance.

Le premier contient tous les autres sauf trois.
Ceux là nous font courir.
2017 vœux moins trois qui courent toujours,
Souhaitons-nous un deuxième vœu d’endurance.

Le premier contient tous les autres plus le reste.
Ce qui reste c’est ce qui n’a pas été perdu.
Qui nous verra courir après ce qu’on ne peut perdre ?

Le premier c’est le tout.
Ce tout on l’appellera pour un temps « 2017 ».
Ce tout va-t-il nous faire courir ?

Le tout contient le reste.
Le reste ne peut être perdu.
« 2017 » est ce qui reste.

Vous l’avez compris, l’année 2017 sera politique!

 

Pour commencer en douceur et sérénité, une petite perle du musicien turc Ömer Faruk Tekbilek.
« Last moments of love ». Extrait de l’album Crescent moon, 1998

 

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Arménie, juste pour le plaisir

Un hommage au mont Ararat, composé par Arto Tunçboyacyan (un turc d’origine arménienne) et son Armenian Navy Band.

L’Ararat est le symbole de l’Arménie coupée de ses racines depuis un siècle. La montagne mythique des arméniens est en Turquie mais continue à dominer de toute sa majesté la capitale arménienne. Symboles, belles matrices de notre réalité…

Les images sont tournées du côté arménien.

Arto Tunçboyacyan et Armenian Navy Band: « Here’s to you Ararat« , 2006. Extrait de l’album « How much is yours? »

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