« Nous trouvâmes en route beaucoup de ceux qui avaient été emmenés dans les convois précédents. Parmi les tués gisaient quelques femmes, à côté de leurs maris et de leurs fils. Nous rencontrions aussi des vieillards et des petits enfants qui étaient encore en vie, mais dans un état pitoyable. A force de pleurer, ils avaient perdu leur voix. »¹
Dois-je continuer ou tout le monde comprend de quoi je parle?
Tout le monde? Pas sûr. Mais alors ma question devient : pourquoi tout le monde ne comprend-il pas? J’écarte le « Parce qu’on ne sait pas trop ». Je l’écarte depuis toujours. Depuis la nuit des temps du langage et de l’écriture. Depuis la nuit des temps des journaux, de la radio, de l’Internet et des satellites en orbites. J’écarte le cocon régressif dans lequel nous enserre la technologie pour que nous apprenions à ne plus savoir². J’écarte l’excuse de la sensibilité, quand elle est complice de la mort. J’écarte la lâcheté, et la mienne n’est pas la dernière. On ne tue pas les enfants! Ni leurs parents! Ni les autres vivants, quand ils ne demandent pas à mourir. On n’est pas là pour ça. On a beaucoup mieux à faire. Nous avons des vies infiniment plus grandes à vivre. Ne jamais vouloir la souffrance de l’autre serait la plus petite des exigences que nous pourrions avoir envers nous.
Car dans le désert, si les voix ne portent pas, elles ricochent sur les cailloux.
¹ Le rapport secret du Dr Johannès Lepsius sur les massacres d’Arménie, Payot et Cie, 1919, p. 59
² Alain Damasio, Vallée du silicium. Seuil, 2024, p. 228
Gaza, 21 avril
Les chansons effacent-elles les frontières ?
Avec ces tempes qui cognent si fort
Je ne peux regarder le soleil en face
Aux miséreux toute misère laissée
Dans le plus beau des espaces qui est celui du monde
Bon audimat ce matin pour le chef des puissants
Rythme de largage des bombes satisfaisant
Des enfants manquent à l’appel mais ne vous attristez pas
Ils seront remplacés par d’autres
Meilleurs, bien nourris et amnésiques
Les adieux sont de trop
Ils pourraient nous mener sur les voies sans issue du regret.
HTV